Intervention de Pierre-Alain Guyot

La question de la radicalisation est attrapée par plusieurs entrées que je voudrais désigner. Le principe est de fournir une économie d’explication voire une idéologisation de cette même question, par l’évidence qui s’imposerait que ce sont les jeunes maghrébins qui seraient spontanément perçus comme possiblement en voie de radicalisation.

  • Une entrée technique (les indicateurs de radicalités par exemple) vs une manière psychologique à base d’indicateurs de comportements « diagnostic » et non pas « prédictifs » est-il précisé. Leur sommation ne saurait suffire à rendre compte de la radicalisation. Soit ! Les questions du voile, du refus de la minute de silence suite aux événements de janvier 2015 font immédiatement apparition dans les signes de radicalisation. Non en tant que tel, mais comme signes possibles de la voie vers celle-ci.

Cette question technique avancée, il faut aussi convenir que les adolescents dont il est question connaissent eux-mêmes de grandes difficultés de construction de leur propre identité (je propose, sous l’autorité du directeur territorial, un groupe de travail construction identitaire défaillante et prévention de la radicalisation)…

  • Une manière d’entrée dans la question de la construction de l’adolescence qui ne me convainc pas du tout. « Il est vrai que c’est bien dans l’air du temps de faire porter à l’adolescence tous les traits ordinairement attachés au peu fréquentable « individu post moderne », marqué du double sceau de l’individualisme et du consumérisme ; ce renversement de regard n’est pas sans conséquence performative : faire de l’adolescence le paradigme de l’individu contemporain est indissociable d’un traitement ambivalent des adolescents. Leurs écarts de conduite sont en effet facilement codés comme des comportements inquiétants, potentiellement pathologiques, déviants, voire dangereux a priori pour les « adultescents » de tous bords[1]. »
  • Une approche ou bien ethnicisée ou bien racialisée (les deux termes ne recouvrent pas les mêmes questions) de la construction des jeunes. Curieusement, sans statistique on peut penser que nombre de jeunes sont de récents convertis et bien blancs dans leur pigmentation de peau. Cela n’empêche pas que ce sont les jeunes de quartiers qui prédominent dans les représentations immédiates des questions de radicalisation.
  • Une approche dépolitisée de la question. J’évoque l’entrée technique plus haut ; Dans les faits la définition que propose Khosrokhavar est la suivante : Par radicalisation, on désigne le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel[2]. L’auteur ajoute plus loin : « La radicalisation est la conséquence de la perception de la violence et de son interprétation selon des axes idéologiques, qui poussent l’acteur à s’engager dans l’action violente[3]. ».

Ce qui est proposé comme produit d’analyse (à consommer sans modération) dépolitise totalement la question. Celle-ci est traitée sur le mode des dérives sectaires et sur celui des mécanismes d’emprise. Autrement dit des approches résolument situées du côté des formes de la psychologie, celle d’une influence néfaste et d’un traitement du sujet comme passif sur les plans de ce qu’il subit. A aucun moment n’est envisagée la question d’une participation active (sans compter la remarque plus haut liée aux difficultés de la construction identitaire). L’idée d’une violence en réponse à l’interprétation sociale de situations appréhendées comme elles-mêmes violentes n’apparaît nulle part !

  • Enfin, la question, telle qu’elle s’aborde à la Protection Judiciaire de la Jeunesse est construite autour de deux grandes réponses : l’une autour de la « laïcité et de la citoyenneté ». Ces termes ne sont pas définis et je fais l’hypothèse à cet égard que les pratiques professionnelles tout en étant inquiétées par les différents signes qui sont envoyés sur ces questions pour l’instant ne sont pas réellement modifiées (ceci reste à vérifier) ; une autre est organisée autour de la « prévention / lutte » (les deux termes n’indiquent pas les mêmes référentiels politiques, l’un plutôt éducatif, l’autre sécuritaire) de la radicalisation. Des référents laïcité et citoyenneté ont ainsi été nommé dans le fil du premier semestre 2015, pour répondre à ces approches.

[1] Laval Ch., Furtos J., Pourquoi les adolescents inquiètent-ils les adultes in Rhizome n° 38 avril 2010

[2] Khosrokhavar F., Radicalisation, Paris Edition de la maison des sciences de l’homme, 2015 (191 p).

[3] Khosrokhavar F., Idem, p. 37.

 

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